S’il est un sujet qui revêt un intérêt tout particulier pour les victimes d’accident médical non fautif, outre l’anormalité du dommage, c’est bien celui des critères de gravité conditionnant l’indemnisation par l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM).
Pour mémoire, les critères de gravité sont de 5 ordres, la victime devant remplir l’un d’entre eux pour prétendre à une indemnisation. Il s’agit :
- D’un taux de Déficit Fonctionnel Permanent (DFP) supérieur ou égal à 24%,
- D’un Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT) supérieur ou égal à 50% sur une période de 6 mois consécutifs ou de 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois consécutifs,
- D’un arrêt de travail sur une période de 6 mois consécutifs ou de 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois consécutifs,
- De l’inaptitude définitive à son emploi,
- Des troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence.
Si aucun de ces critères n’est réuni, et même en cas d’accident médical non fautif avéré (anormalité du dommage), la victime ne pourra obtenir l’indemnisation de ses préjudices.
Après avoir brièvement rappelé ces principes, dans un arrêt du 15 juin 2022 (pourvoi n°21-12742) la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur le cas particulier de l’évaluation du taux de DFP chez une patiente présentant un état antérieur.
Il s’agissait d’une patiente qui souffrait d’une arthrose du genou gauche handicapante puisqu’elle avait recours à des cannes anglaises pour se déplacer. Cette patiente avait bénéficié d’une intervention chirurgicale de mise en place de prothèse de genou.
A l’occasion de cette intervention, lors de l’anesthésie loco-régionale, la pose du cathéter crural avait causé des lésions neuropathiques sources de séquelles fonctionnelles nécessitant l’usage de cannes anglaises (en sus d’autres séquelles fonctionnelles telles que les douleurs neuropathiques par exemple).
L’expertise médicale diligentée avait permis de retenir qu’il s’agissait bien d’un accident médical non fautif ayant eu des conséquences anormales au regard de l’état de santé de la patiente comme de l’évolution prévisible de celui-ci. Le taux de DFP après l’accident médical avait été évalué à 40% et le taux de DFP antérieur à l’accident à 20%.
Dans la mesure où la patiente se déplaçait déjà avec des cannes avant l’accident médical, la Cour d’Appel de Rennes avait estimé que les préjudices subis n’étaient que partiellement imputables à l’accident anesthésique non fautif et qu’il convenait de déduire la part d’état antérieur évalué à 20% du taux global de DFP de 40%.
Il en résultait logiquement un taux de DFP imputable à l’accident médical non fautif inférieur à 24% (en l’occurrence 20%) entrainant le rejet de la demande d’indemnisation de la victime.
S’agissant du seul critère de gravité dont pouvait a priori se prévaloir cette patiente pour obtenir la réparation de ses préjudices, elle se retrouvait ainsi privée d’indemnisation.
La Cour de Cassation, pour infirmer la décision de la Cour d’appel, estime que dans le cas où une intervention chirurgicale permet de corriger un état antérieur et de parvenir à la diminution (voir à l’amendement complet) du déficit fonctionnel présenté avant l’intervention, il y a lieu d’évaluer le taux de DFP dans le cas où l’intervention aurait été une réussite :
« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, la part du déficit fonctionnel permanent préexistant lié à l’arthrose auquel il avait été remédié par la pose de la prothèse, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
C’est ce taux de DFP évaluant les éventuelles séquelles résiduelles en cas de succès de la chirurgie qui doit être pris en compte pour le calcul du taux de DFP imputable à l’accident médical non fautif.
La Cour de cassation a ainsi rappelé une pratique pourtant habituelle lorsqu’un déficit fonctionnel préexiste à l’accident médical, qu’il soit fautif ou non. De nombreuses illustrations de ce principe existent, en ophtalmologie par exemple (opération de la cataracte etc).
Dans le cas de la pose de prothèse de genou, sachant que la présence d’une telle prothèse n’est pas génératrice à elle seule d’une incapacité permanente partielle (source : barème du concours médical), un rétablissement complet peut être espéré soit un DFP de 0% en cas de succès total de la chirurgie.
Appliqué au cas nous intéressant, s’il venait à être estimé qu’après chirurgie la patiente aurait intégralement récupéré ses facultés sur le plan fonctionnel, le taux de DFP imputable à l’accident médical non fautif pourrait être de 40% permettant une indemnisation par l’ONIAM.
Il faut croire que certaines questions mettent du temps à pénétrer les esprits tant des juristes que des experts puisqu’en l’occurrence, cette logique n’avait semble-t-il pas non plus été suivie dans le cadre de l’expertise médicale…